De l'académie à l'académisme

Par Jean Monneret

Une conception nouvelle

Une conception nouvelle de l’Antiquité, le néo-classicisme, se fonde au milieu du XVIIe siècle à partir des fouilles archéologiques d’Athènes, de Campanie, du Liban et de Syrie. Un mouvement original naît : l’exotisme de l’Antiquité.
L’Antiquité lumineuse et colorée, imaginée au Maghreb par Delacroix, n’est pas celle d’Ingres ou de David, plus marquée par l’histoire.

Pour leurs suiveurs académiques, cette Antiquité sert simplement à fournir des sujets pour la prochaine toile du Salon. « L’Antiquité était pour eux un dictionnaire qu’on feuilletait, afin d’y trouver sans fatigue pour les méninges, d’innombrables titres destinés à donner aux plus banales figures d’atelier une noblesse académique 1».

Il manque dans leurs toiles si parfaites — en dépit d’une adresse, d’un métier quasiment disparu de nos jours — un indéfinissable éclair de génie, une rupture d’équilibre dans le dessin ou la couleur, un défaut troublant cette sérénité glacée.

Marquerie

Pose académique

Marguerie 1846
On ne badine pas avec l’anatomie dans un atelier des Beaux-Arts au XIXe siècle. Les critères balisant le concours du Prix de Rome excluent de s’éloigner des règles : cadrage dans la toile, respect de la morphologie, science des valeurs, subtilité des passages. Mais l’ambition

d’atteindre le seul « fini académique » va faire sombrer ces artistes dans l’habileté creuse et la platitude anecdotique.

Lanaissancedevenuscabanel

La Naissance de Vénus

1863 H.S.T. 130 x 225 cm

Alexandre Cabanel (1823-1889)
(Musée d’Orsay)
Le « métier » de Cabanel a évité l’usage désastreux du bitume. La toile est restée claire et proche, un siècle et demi après, de l’intention de l’artiste. Cela est souvent le cas des œuvres académiques, le respect du métier étant mieux assuré.
Peut-être est-ce aussi l’usage excessif de la poudre de riz qui a laissé à ces nymphes roses et blanches leur si suave éclat ?

Le nu féminin

Le nu féminin est utilisé comme l’expression d’une esthétique d’agrément.
Sait-on qu’à l’École des Beaux-Arts, le modèle féminin posant nu est interdit jusqu’après la guerre de 1914 : la femme pose habillée pour la « tête d’expression ». Jamais nue.
Dans les peintures du Salon, une femme n’est représentée nue qu’estampillée du sceau mythologique, pompéien, moyen oriental des Mille et une Nuits, biblique, religieux.
Le bon goût recommande les Vénus glacées ou les nymphes de boudoir, au rendu lisse et poudré qui aboutit au tableau vivant.
À l’École, le modèle drapé à l’antique campant la pose héroïque demeure une référence sacrée. La copie anatomique parfaite est la garantie du savoir peindre.

« Rappelez-vous donc, jeune homme, que quand on exécute une figure, on doit toujours penser à l’antique. La nature, mon ami, c’est très bien comme élément d’étude, mais ça n’offre pas d’intérêt ».
C’est Charles Gleyre, professeur tolérant mais solennel à l’École des Beaux-Arts, qui tance ainsi Claude Monet son jeune élève, de passage dans son atelier. (Il aura comme élèves ceux de la bande à Bazille, Renoir, Whistler, Sisley, Monet).

l'académisme « pompier »

Le classicisme d’Ingres a dégénéré en académisme pompier. Les Vénus ou les muses, les spartiates ou les ancêtres préhistoriques chasseurs d’ours qui envahissent les cimaises du Salon ne peuplent qu’une Antiquité d’atelier, en parfaite harmonie avec le goût du public bourgeois avide d’histoires édulcorées et polissonnes, et de scènes réelles. L’Antiquité n’est pourtant pas le bal des Quat’z’arts.

Cependant, un siècle après, lorsqu’on les observe, les œuvres académiques présentent souvent un avantage sur les audaces des novateurs : un meilleur respect du métier de peindre de leurs auteurs les a mis à l’abri des outrages du temps, alors que L’Incendie de Courbet 2 est devenu illisible en raison de l’usage de bruns bitumineux.

Certaines toiles de Van Gogh ont perdu de leur éclat du fait de l’usage de couleurs fugaces, alors que les Psychés de Cabanel ou le Combat de Coqs de Gérôme ont gardé l’essentiel de leur jeunesse académique.
Néanmoins, les artistes académiques, crispés dans le respect d’une tradition dévoyée, sont incapables de sentir la nouveauté qui se fait jour au milieu du siècle. Ils n’éprouvent que du mépris pour tout ce qui ne correspond pas aux canons de la « grande peinture » : historique, religieuse, militaire, soumise, quel qu’en soit le sujet, au culte de l’anecdote.

Pourtant, certains parmi eux seront influencés timidement par les recherches sur la lumière, entamées par les artistes novateurs. Zola le mentionnera dans ses articles sur le Salon.
Il remarquera cette influence, mais ne comprendra pas l’originalité impressionniste, et encore moins l’audace de son ami Cézanne. Tous prendront leurs distances avec lui.

Ainsi, dans la totalité de la deuxième moitié du XIXe siècle, nous assistons au premier triomphe de la peinture institutionnelle : l’académisme « pompier ».

Pompiers_courant_au_feu_by_Gustave_Courbet_1851

L’incendie

Gustave Courbet (1819-1877)
1850-51
388 x 580 cm
(Musée du Petit-Palais, Paris)
Le bitume employé au XIXe siècle dans la peinture à l’huile (c’est un hydrocarbure) donne, à l’emploi, une couleur sépia très séduisante. Son inconvénient est de ne jamais sécher et

de… noircir.
Le Radeau de La Méduse de Géricault ou L’Incendie de Courbet en sont irrémédiablement détériorés.

Auteur : Jean Monneret,
Catalogue raisonné du Salon des Indépendants 1884-2000.
Edition Eric Koehler, novembre 2000

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