Au milieu du XVIIe siècle, la création de l’Académie par Mazarin répond à deux objectifs : l’un, pratique, le libre exercice de la peinture, est vite occulté par le second, la défense d’une doctrine esthétique.
Tant que l’Académie saura assimiler les tendances nouvelles, elle sauvegardera son prestige. Mais au XIXe siècle, l’influence intransigeante d’Ingres, mal assimilée, donnera à la doctrine classique la rigueur d’un dogme. Dès lors, l’Académie se sclérosera peu à peu.
Elle devient dictatoriale au Second Empire au moment où règne une grande effervescence artistique. Élu trop tard à l’Académie, Delacroix, malade, ne pourra redresser la situation.
Donc, au XVIIe siècle, l’artiste peut vendre ses tableaux ou ceux de ses contemporains et même ceux d’artistes plus anciens.
Néanmoins, les marchands ou les agents privés des collectionneurs, sont les véritables intermédiaires entre les artistes et la clientèle. Leur rôle s’accentue au XVIIIe siècle et s’accélérera au XIXe.
Si la légende fait mourir Vinci dans les bras de François 1er, son mécène, Watteau meurt dans les bras de son marchand, Gersaint, installé sur le Pont Notre-Dame !
Aux XVIIIe et XIXe siècles, le pouvoir de l’Académie est considérable. Nous l’avons vu, elle est la seule à pouvoir assurer la consécration des artistes. Pourtant, crispée dans la défense de la tradition détournée, l’Académie va laisser échapper ce monopole de la formation et de la recon- naissance des artistes.
Elle va laisser progresser en dehors d’elle un réseau commercial, dominé par les marchands, et le système d’information, régenté par la presse et la critique d’art.
Le phénomène ne cessera de s’amplifier à la fin du XIXe et dans tout le XXe siècle !
L’Enseigne de Guersaint
Antoine Watteau (1684-1721) (Berlin, Staatliche Schlösser und Gärten)
166 x 306 cm, détail
Le tableau était destiné à servir d’enseigne pour la galerie de Guersaint, marchand et ami de Watteau.
La boutique était installée au 35 pont Notre-Dame. Il a été exécuté en huit matinées, peu avant sa mort. On tremble à l’idée qu’un si délicat chef-d’œuvre a été conçu pour servir d’enseigne à un marchand. Plus avisé, celui-ci le vendit à Gluck. Cinquante ans plus tard, il entrait dans les collections de Frédéric le Grand.
Le tableau représente ce qu’était une galerie au début du XVIIIe siècle, exploitée en plein vent, installée dans une maison construite sur un pont de la Seine. Vendeurs, portefaix, clientèle noble, se pressent dans la boutique parmi les œuvres de Van Dyck, Rubens ou Véronèse, que l’on emballe dans la paille.
Depuis le début du XIXe siècle, les artistes sont impuissants à faire éclater le système académique, sclérosé de l’intérieur.
Une fraction des marchands et de la critique prend le risque d’assurer la relève de ce système académique rétrograde, en faisant connaître les œuvres par de nouveaux moyens, et à un nouveau type de collectionneurs.
Vers 1880, la situation du marché de l’art est plus simple qu’il n’y paraît. On y distingue deux styles de marchands, deux genres de collectionneurs, et finalement deux sortes d’artistes.
La clientèle officielle, au goût très conformiste, membre des professions libérales ou des grands corps de l’État, hommes d’affaires, industriels, banquiers… s’approvisionne au Salon mais aussi dans les galeries à la mode.
Raymonde Moulin dans son « Marché de la peinture en France » paru en 1967 1, indique notamment « Boussod et Valadon » dont la succursale du 19 boulevard Montmartre sera dirigée par Théo Van Gogh.
Une partie de leurs artistes sont les grands ténors du Salon : Brascassat, Bouguereau, Cabanel, Gérôme – (gendre de Goupil, le prédécesseur de Boussod et Valadon !) – Meissonnier ou de Fortuny dont Un mariage au XVIIIe siècle est vendu à l’époque 70000 franc-or !
On comprend mieux, à la lecture de ce palmarès académique, le mal que Théo éprouvait à «essayer » de vendre les lumineuses compositions de Vincent, à 400 francs pièce !
Les grandes galeries de l’époque « ne mettaient pas leurs œufs dans le même panier ». Vincent Van Gogh chez « Boussod et Valadon » était une « incongruité ». L’audace permise s’arrêtait à Corot et aux artistes de Barbizon. Le chiffre d’affaires se faisait avec les peintres du Salon.
Face à ces succursales du Salon officiel, se profile un nouveau style de marchand : celui qui s’est intéressé da-bord aux membres de l’École de Barbizon, puis à ceux du Groupe des Batignolles, pour enfin s’enthousiasmer pour les artistes impressionnistes.
Catalogue de la première rétrospective Pissarro
Galeries Durand-Ruel 30 avril 1904
Le catalogue mesure 20 x 10 cm ! En 14 pages, il présente 175 peintures de Pissarro exécutées entre 1864 et 1909.
Un milliard de francs de peinture sur 10 cm de large et 3 mm d’épaisseur !
Rêvons à l’épaisseur du catalogue d’une rétrospective Pissarro, présentée au Grand-Palais lors de sa réouverture, ou à celui de la vente du siècle » chez Christie’s.
Ce n’était pas sans risques : Durand-Ruel avouera plus tard avoir eu un million de francs de dettes en 1884 !
En « trustant des artistes qu’il convoitait pour son marché américain – c’est une « première » – il se rattrapera. Mais quelle audace visionnaire ! Leurs clients sont des amateurs éclairés plus que des « grosses fortunes » : Victor Choquet, Docteur Gachet, Jean Dolfuss, Charpentier, Emmanuel Chabrier…
Pour les novateurs, le marchand constituait la première escale pour l’Amérique. Pour les marchands, les ciels mouvants des impressionnistes n’allaient pas tarder à dissiper les effets risqués des emprunts bancaires.
Les artistes académiques et les artistes novateurs sont aussi radicalement différents.
Les premiers obéissent au cursus de l’Académie : « Lauréats de l’École des Beaux-Arts, les artistes officiels devenaient pensionnaires de l’Académie France à Rome, rentraient à Paris pour exposer au Salon annuel, gagner des médailles et pour être, au terme du cursus, admis à leur tour à l’Institut ».
Leur carrière ne différait pas sensiblement de celle des hauts fonctionnaires de la République !
Vers les années 1960, dans les trois ou quatre dernières aimées de l’institution du Prix de Rome, un changement d’esprit s’opérera.
Émergeront alors des artistes au talent plus novateur. Hélas, mai 68 mettra un terme brutal à cette métamorphose culturelle.
Les artistes indépendants et novateurs sont souvent démunis du savoir-faire social indispensable pour les réussites rapides et spectaculaires. Ils sont surtout animés par le goût de la nouveauté qu’ils pressentent dans le monde en transformation.
Pour être témoin de son temps, il faut être libre de naissance. Ils se sont formés seuls, au contact des musées ou des amis artistes. Quand il a eu lieu, leur passage à l’École des Beaux- Ans a été bref.
L’apprentissage du dessin s’est réalisé, souvent, à partir de 1880, dans les cours du soir que la Ville de Paris venait de créer. Aucun excédent de bagage pour ces pionniers de l’art de peindre, l’absence d’excédent n’excluant pas la qualité du bagage.
Finalement, le grand art ne fut pas celui qui valait des fortunes, mais celui que personne ne vit ou n’acheta. C’est une des raisons pour lesquelles Manet, Monet, Cézanne n’ont guère décoré d’Hôtels de Ville. C’est aussi pour ce motif qu’un Dimanche d’été à l’Ile de la Grande jatte de Seurat se trouve aujourd’hui à Chicago.
Un dimanche après-midi à l’Île de la Grande Jatte
Seurat a peint ce tableau entre mai 1884 – mars 1885 et – mai 1886 sur l’île de la Grande Jatte appelée aujourd’hui île de la Jatte, située sur la Seine, entre Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret sur sa rive droite, Courbevoie et le quartier d’affaires de La Défense sur sa rive gauche. Elle a été rendue célèbre par les peintres impressionnistes qu’elle a inspirés, en particulier Claude Monet, Vincent van Gogh et Alfred Sisley et bien sûr son peintre Seurat.
Ce tableau à été exposé aux indépendants en 1886 puis 1892 et 1905.
Auteur : Jean Monneret,
Catalogue raisonné du Salon des Indépendants 1884-2000.
Edition Eric Koehler, novembre 2000
Les articles de Jean Monneret
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